illustration: “Four pylon sculptures decorate the north side of the Century of Progress Hall of Social Science”, Chicago, 1933, UICdigital/flickr.com
Si les espaces de discussion hors de l’encadrement par les directeurs de recherche font en général défaut dans le monde universitaire, les étudiants rattachés à la Chaire de recherche en étude du pluralisme religieux disposent au travers de séances d’autoformation d’un espace de discussion qui leur permet d’aborder de multiples sujets et d’approfondir certaines techniques de recherche. Moins formel qu’un séminaire, mais cependant plus systématique et encadré qu’une simple conversation, les séances d’autoformation d’étudiants visent à développer des compétences propres à la recherche en sciences sociales (la maîtrise de méthodes de recherche et d’outils comme des logiciels ou des bases de données), mais également des compétences nécessaires pour le monde de la recherche (exprimer ses idées avec clarté en public, partager des connaissances, travailler en équipe…) chez les étudiants.
Grâce au financement FQRSC, nous avons déjà réalisé trois de ces rencontres à l’automne 2011 et continuerons au cours de l’hiver 2012. Ces rencontrent rassemblent autour d’une même table des étudiants de 1er, 2ème, 3ème cycle, et également des postdoctorants rattachés à la chaire. Les disciplines représentées sont variées : sociologie, éducation, géographie, pour l’instant. Ces rencontres sont structurées par la conviction que des idées originales peuvent émerger de l’échange et que chacun peut faire profiter les autres étudiants de ses expériences de recherche ainsi que de sa maîtrise des outils de la recherche.
Du bon usage des bases de données et du logiciel EndNote®
L’élaboration de stratégies de recherche bibliographique constitue une activité fondamentale pour les étudiants, aussi notre première réunion a eu pour but d’explorer les multiples possibilités offertes par les bases de données d’articles scientifiques et les plates-formes de recherche disponibles depuis le site internet de la bibliothèque de l’Université de Montréal. L’accent a été mis sur les possibilités offertes par les bases de données (notamment la base ProQuest), mais également sur les « trucs et astuces » pour ne pas se perdre sous la masse d’articles et d’informations auxquels les chercheurs ont désormais accès depuis leur poste informatique.
Conduire un entretien semi-directif
Si l’entrevue semi-directive est la technique très répandue en sciences sociales – sous différentes formes et méthodologies, et auprès de populations diverses – sa mise en pratique efficace repose en grande partie sur les compétences du chercheur. En ce sens, si les connaissances théoriques, analytiques et méthodologiques sont importantes, l’expérience pratique du chercheur l’est tout autant. Comment conduire une bonne entrevue ? Comment éviter les « erreurs » ? Quels types de difficultés est-on susceptible de rencontrer lorsque l’on en conduit une? Si pour Bourdieu (La Misère du Monde, Le Seuil, 1993) l’entretien « peut être considéré comme une forme d’exercice spirituel [Bourdieu emploie cette expression dans le sens que lui a donné la philosophie antique], visant à obtenir, par l’oubli de soi, une véritable conversion du regard que nous portons sur les autres dans les circonstances ordinaires de la vie » (p. 912-4), la mise en pratique de ces éléments reste un « mystère » pour les jeunes chercheurs. C’est pourquoi dans la deuxième rencontre étudiante nous avons discuté des aspects pratiques de l’entrevue, en partant d’expériences réelles de certains des étudiants les plus avancés dans leur parcours de recherche. En effet, le retour réflexif sur ses propres entretiens permet au chercheur d’effectuer des ajustements sur la manière de se présenter, de poser les questions, et même de contrôler sa gestuelle. Il suffit parfois d’un léger hochement de tête pour libérer la parole de l’interlocuteur.
Les sociétés secrètes de Georg Simmel
Sur un plan davantage théorique, la dernière rencontre de l’année 2011 fut consacrée à la lecture et discussion du texte de Simmel sur les sociétés secrètes (« The Secret and the Secret Society », traduction de Kurt H. Wolff dans The Sociology of Georg Simmel, The Free Press, 1950, pp. 307-376). La conception de Simmel du rôle du secret pour les interactions sociales (déployées toujours quelque part entre la totale ignorance et la complète connaissance de l’autre mais jamais dans l’un des deux extrêmes) et des sentiments qu’il provoque chez l’autre se sont avérées pertinentes pour certaines des recherches auxquelles les étudiants participent. Dans ce très beau texte qui, par bien des aspects, fait entrevoir ce que sera l’interactionnisme de Goffman bien des années plus tard, Simmel s’interroge sur les interactions sociales qui reposent sur des ajustements successifs à partir de ce que l’on sait et surtout ce que l’on ne sait pas de l’autre dans le cours de l’interaction.
Quelles sont les caractéristiques d’une société secrète ? Pourrait-on considérer les gangs de rue comme des sociétés secrètes dans le sens de Simmel ? Comment peut-on mobiliser les conceptualisations simmeliennes du secret pour comprendre les processus contemporains de délimitation d’espaces publics et privés ? Voilà quelques questions qui ont été traitées lors de la rencontre, sans arriver à une réponse définitive.
De toute façon, la valeur de ces rencontres ne provient pas tant des réponses apportées, mais bien davantage de l’émulation intellectuelle qui s’y déploie. Cette sorte de mise à l’épreuve de l’intelligence collective a été parfaitement réussie.
Javiera Araya-Moreno avec la collaboration de Frédéric Dejean